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Gynécologie

Regards croisés

Publié le 23 sep 2021Lecture 8 min

L’enseignement médical à l’épreuve de COVID-19 : menace ou opportunité ?

Yves VILLE, Joseph BONAN
L’enseignement médical à l’épreuve de COVID-19 : menace ou opportunité ?

Nous avons assisté, sous la contrainte d’une situation épidémique inédite, à un basculement massif vers le digital learning dans l’urgence et l’impréparation. L’enseignement distant présenté depuis deux décennies comme innovant et stratégique a dévoilé à cette occasion ses faiblesses.

Le contraste entre une certaine sidération de la communication universitaire et un journalisme devenu quasiment exclusivement médical est saisissant. Il est quasiment impossible de trouver sur les sites universitaires une information critique ou une formation contemporaine sur l’épidémie. La césure dans les enseignements dont la prestation présentielle a été interrompue en cours d’année ont aussi contribué à révéler l’ampleur de la fracture numérique à l’université. Les étudiants consultés dans plusieurs universités déclarent dans leur grande majorité avoir reçu des supports de travail, toutes formes confondues. Cependant les classiques envois de notes de cours, de Powerpoint, et de textes à lire restent très majoritaires. Les enseignements en ligne proposés ont eu largement recours à la plateforme Moodle pour de nouveaux supports ou surtout pour renvoyer à des enregistrements plus anciens, et bien entendu Zoom, plateforme américaine dont la sécurité et la confidentialité sont médiocres. Les résultats mitigés de cette grande bascule numérique improvisée ont pour origine deux malentendus : Longtemps tenu pour un pis-aller destiné aux personnes dans l’incapacité d’être physiquement présents à des cours, le cours en ligne doit au contraire être tenu aujourd’hui pour une forme d’enseignement de toute première importance, objet d’un travail bien spécifique, s’ajoutant et s’intégrant à d’autres nouvelles pratiques pédagogiques. S’agissant d’un nouveau langage doté de sa propre grammaire, son écriture demande l’intervention d’un personnel familier des médias numériques et performant. La simple mise en ligne de diapositives en format Powerpoint, pas plus que l’enregistrement d’un cours présentiel, ne sauraient tenir lieu d’e-learning s’ils font l’économie d’une réflexion d’amont sur la scénarisation d’un cours et s’ils s’épargnent un recours à toutes les ressources du numérique. La part technologique de la fracture numérique est criante tant à l’université que chez les étudiants. A l’université, deux exemples très illustratifs sont d’une part la fragilité de Renater, le réseau des réseaux, public et sécurisé ; d’autre part Moodle, plateforme plébiscitée par la quasi-totalité des universités reste peu investie par les enseignants dans les dimensions qui la différencie d’un simple entrepôt de diapositives. On ne s’improvise pas enseignant à distance et un gros tiers des étudiants déclarent avoir plus de difficultés à comprendre un enseignement en ligne que son équivalent présentiel. Chez les étudiants, l’insatisfaction qui semble dominer la perception de l’impact de ces substituts, est en partie due aux conditions de vie en temps de confinement et au stress intrinsèque à la situation sanitaire. Cependant les conditions d’accès à un réseau internet de débit suffisant et sur un matériel personnel adapté pour accéder à ces ressources sécurisées ont été très surestimées et le président Chambaz soulignait récemment le parallèle entre fracture numérique et fracture sociale chez les étudiants de Sorbonne Université. Demain, l’Ubérisation ? L’enseignement en ligne est devenu un nouveau et brulant «vieux sujet», que la lourdeur des contraintes techniques et administratives de l’université expose à l’»ubérisation». Ce néologisme, que nous devons à Maurice Levy, désigne l’émergence disruptive d’un modèle économique alternatif, offrant un meilleur service à plus faible coût, allégé de toute infrastructure lourde grâce à l’utilisation très optimisée des outils numériques. Dès 2015, Thierry Mandon, alors secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche, alertait sur ce risque en inaugurant FUN, la nouvelle plateforme publique de MOOC française. L’irruption massive du digital learning à laquelle nous assistons ne pourra qu’aiguiser, à plus ou moins brève échéance, la convoitise des grands acteurs de l’économie numérique. Ceux-ci disposent, en effet, de tous les moyens financiers et technologiques pour devenir, dès qu’ils l’auront décidé, des leaders de l’enseignement supérieur. La crise sanitaire actuelle leur en fait presque obligation tant ils ont dominé le marché de l’information et de la formation des professionnels comme de la population à travers des centaines de webinaires et d’avis d’experts depuis 2 mois. Ils pourront opérer dans des Facultés dématérialisées, ne connaitront ni frontières géographiques ni tutelle étatico-administratives, et n’auront d’autres locaux à entretenir que ceux qui hébergent leurs serveurs. Ils labelliseront leurs enseignements sous leur propre nom, forts de l’excellence d’un personnel-enseignant recruté au plus haut niveau aux quatre coins du monde, et rémunéré comme tel : imaginer que leur capacité à diplômer protègera éternellement les établissements universitaires de l’hyperphagie des GAFAM serait aussi imprudent que de se croire à l’abri derrière une ligne Maginot, Lebel à l’épaule. Les Facultés de Santé conservent néanmoins des atouts, notamment celui de bien connaître leurs pôles d’excellence, et donc de pouvoir faire appel à des enseignants à haut niveau d’expertise dans le périmètre de leur spécialité. Elles bénéficient en outre d’une «notoriété de marque» et d’une capacité à diplômer. Leurs faiblesses sont également bien identifiées : Des locaux sur-occupés et parfois vétustes. Des services d’ingénierie pédagogique sous-dotés, éloignés du terrain clinique où les enseignants conçoivent leurs cours, et contraints par le carcan de procédures administratives lourdes et peu compétitives. Un personnel pléthorique mais dont l’implication est déséquilibrée vers la gestion administrative et au détriment du support à la pédagogie et aux étudiants dans leur accès aux contenus. Des enseignants qui lorsqu’ils sont formés à la pédagogie en générale le sont moins à l’enseignement à distance. Une transformation radicale de l’Université sous l’effet du tsunami numérique qui s’annonce devrait être mise en œuvre, en associant ressources digitales et nouvelles pratiques pédagogiques présentielles. À ce titre, l’ubérisation partielle de l’enseignement médical, perçue comme une menace existentielle, devrait d’une certaine façon être encouragée, pour accompagner le basculement du modèle traditionnel des Facultés vers un nouveau modèle fondé sur une toute nouvelle praxis pédagogique. Celle-ci a déjà largement initiée à travers les concepts de classe inversée et de pédagogie par les pairs, et devrait conduire la faculté à concentrer ses qualités sur le contact humain avec l’étudiant et le développement des apprentissages critiques et pratiques de celui-ci. L’accompagnement qualitatif, ferait de la relation enseignant-apprenant une expérience transformatrice, au-delà de la délivrance du meilleur contenu académique, désormais accessible en ligne. La responsabilisation et l’autonomisation de l’apprenant seraient au cœur du nouveau modèle pédagogique et d’un apprentissage à vie (Life long Learning) qui est le meilleur fondement de la formation continue, en imposant celle-ci comme un besoin naturel plutôt que comme une contrainte. Une pédagogie « phygitale » devrait être mise au service d’un apprentissage présentiel renforcé, collaboratif, multidisciplinaire et créatif : plateformes de simulation, salles de réalité augmentée et salle de ressources pédagogique tutorisées, qui sont autant d’investissements, eux aussi largement numériques, qui ne peuvent apporter de retour positif qu’au sein de l’université. Quelques pistes mériteraient d’être explorées : Le recentrage de la production des supports pédagogiques numériques au sein même des pôles d’activité hospitaliers, en mettant à leur service, de façon ponctuelle, limitée dans le temps, une force de frappe digitale : le fait de disposer in situ d’une chaine éditoriale complète, élève leur production documentaire et pédagogique numériques à des niveaux totalement inédits. La mise en place de multiples petites plateformes d’e-learning, regroupant les enseignements par grands types de spécialités, dont la gestion s’avèrera infiniment plus souple que si les contenus numériques étaient logés au sein d’une giga-structure Web unique. Le recrutement transversal des enseignants hors des seules limites de leur appartenance universitaire, et sur la seule base de leur expertise dans leur spécialité, permettrait réaliser des contenus d’excellence. La conception-réalisation des cours sous la forme de briques pédagogiques, mutualisables entre les Facultés intéressées, permettrait d’augmenter l’offre pédagogique pour chacune de ces Facultés. La constitution d’équipes responsables de la conception-réalisation de contenus numériques, associant des professionnels très différents : spécialistes en ingénierie pédagogique maîtrisant le langage médical, infographistes, designers numériques, rédacteurs, etc... L’association des cours eux-mêmes à des ouvrages numériques d’auto-évaluation à base de questions à réponses multiples. Un encouragement au rassemblement des étudiants dans des petits groupes d’auto-enseignement. Ceci passe surement par la reconfiguration de certains bâtiments universitaires pour aménager des espaces de co-learning à la manière des espaces de co-working. L’allégement des structures administratives en externalisant vers des structures dédiées une grande partie de la gestion des élèves et des enseignants. La recherche, chaque fois que cela sera possible, de la collaboration des meilleures sociétés savantes dans l’élaboration des contenus. L’acceptation de ressources théoriques d’excellence impose une large ouverture sur l’international, qui est une autre ambition restée largement velléitaire au sein des facultés de médecine. Conclusion La transition vers le digital learning s’est imposée bien au-delà des seules structures d’enseignement au cours de la crise ; elle a largement participé à une transformation sociétale. Ce nouveau statut, la rend plus que jamais porteuse d’un risque d’ubérisation totale de l’enseignement supérieur, c’est à dire de sa captation au profit de « pure players» numériques. L’imminencedece risque devrait être vu par les Facultés comme une opportunité pour se revivifier et se re-inventer. L’obsolescence du modèle d’enseignement à base de cours magistraux en présentiel et en amphithéâtre semble dé nitivement acquise, l’e-learning, dans sa forme aboutie, en ayant signé l’acte de décès. L’enseignant devrait conserver un rôle essentiel mais différent, forgeant l’esprit critique, le savoir-faire et le savoir être des étudiants en usant de nouvelles pratiques pédagogiques qui associent digital et présentiel au plus haut niveau. Pr Yves Ville - Membre de l’Académie Nationale de Médecine Chef du Service d’Obstétrique et de Médecine Foetale. Hôpital Universitaire Necker-Enfants malades Directeur Médical du département médico-universitaire des Maladies Congénitales et Anomalies du Développement (MICADO) Dr Joseph Bonan, consultant Digital Learning  

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